La nuit tombe alors que nous roulons au milieu d’un bois épais. Au-dessus de nos têtes, le coucher de soleil est fabuleux et pare le ciel de couleurs flamboyantes. Nous sommes tellement perdus dans la contemplation de ce spectacle que nous ne voyons pas une forme sombre qui s’avance tranquillement au milieu de la chaussée. Quand je l’aperçois, j’ai juste le temps d’écraser brutalement la pédale de frein pour éviter la collision. La voiture s’arrête dans un grand crissement de pneus à quelques mètres de l’animal. Devant nous, éclairé par les phares, un majestueux cerf nous regarde, imperturbable. Après quelques instants, il reprend son chemin sans se presser, nous laissant pantois.
Bienvenue au Nouveau Monde.
La Californie est notre porte d’entrée aux Etats-Unis et notre tremplin vers l’Amérique du Sud. Arrivés à San Francisco, nous avons réservé deux semaines de notre tour du monde à la découverte de la région en voiture.
Freak City
San Francisco est une ville métissée, fruit de l’immigration de populations chinoises, japonaises, européennes, et d’Amérique latine. Les Américains s’y installent quand ils veulent s’échapper des Etats-Unis. La ville de la baie leur apporte l’exotisme et la liberté qu’ils peinent à trouver dans le reste du pays.
San Francisco reste l’ultime frontière si souvent fantasmée. Elle n’est plus géographique mais culturelle et politique. Nous sommes ici dans le laboratoire des libertés et des mouvements alternatifs, synonyme d’espoir pour les LGBT, les créateurs de startups, les burners (participants à Burning Man) et tous ceux qui voudraient changer le monde.
Arrivés d’Asie, après un long vol entrecoupé de plusieurs escales, nous nous installons dans une auberge de jeunesse du centre-ville dans le quartier de Civic Center. Dans les rues, les SDF sont aussi nombreux que les passants. Des fous dansent ou lancent des injures au ciel, l’un se donne des gifles, d’autres parlent tout seuls. Tous les mendiants n’ont néanmoins pas un comportement inquiétant, ils semblent vraiment faire partie du paysage quotidien.
Pour ne pas rester sur ces premières images, nous partons explorer ses autres quartiers. Castro, adopté par les homosexuels, arbore partout les couleurs du drapeau arc-en-ciel. A Mission, des hipsters s’alignent sur les sièges des barbiers pour se faire tailler la barbe à la longueur à la mode. Il est visiblement important d’être tatoué pour montrer sa personnalité. Dans cette nouvelle norme esthétique, les chaussettes à motifs portées très hautes font fureur.
Nous allons jeter un coup d’oeil à Alcatraz à partir du « Pier 39 », un ancien dock transformé en une espèce de mini Disneyland farci de boutiques pour touristes. Plus intéressante est la ville de Sausalito et de son village de maisons flottantes. Autrefois repaire de hippies et de marginaux, le lieu s’est embourgeoisé. Les demeures ont maintenant des allures de vieilles Anglaises, ridées mais fleuries et coquettes.
Au bout de trois jours à déambuler dans les rues, nous cherchons encore la magie que nous espérions ressentir en venant dans la ville de la baie. L’étincelle ne viendra pas. Nous avions peut-être trop fantasmé sur San Francisco pour ne pas être déçus.
Nous fuyons la ville la veille de la Gay Pride, jetés sur les routes par la hausse spectaculaire du prix des chambres. Des travestis emplumés commencent à investir les rues. Nous récupérons notre petite voiture de location en centre-ville. A la sortie du parking, Romain, se croyant sans doute encore en Malaisie, conduit à gauche et fait paniquer un automobiliste arrivant dans le sens contraire.
Cartes postales américaines
Un arrêt à un supermarché dans la banlieue nous permet d’acheter du matériel de camping et des provisions. Nous reprenons notre route le coffre de la voiture chargé à bloc.
Notre première destination est le parc de Yosemite. Il est réputé pour sa forêt de séquoias qui peuvent atteindre 85 mètres et ses formations rocheuses. C’est l’un des paysages américains les plus connus. C’est le genre de lieu qui vous donne envie d’enfiler un pagne et de courir entre les arbres comme les personnages du Dernier des Mohicans.
Passé le Yosemite, nous découvrons un grand et beau lac : le lac Mono. Resplendissant comme un miroir au soleil, il abrite d’étranges concrétions calcaires, comme des fumerolles figées dans le temps. Ces rochers sont en fait des cheminées calcifiées par lesquelles les vapeurs sous-marines s’évacuaient à l’époque où le niveau du lac était bien plus élevé. Aujourd’hui c’est un lieu étonnant et unique, où les formes grises des masses minérales stériles se reflètent dans les eaux cristallines du lac.
Goodbye God, I’m going to Bodie
Bodie, était autrefois la deuxième ville de Californie, riche, dynamique et excitante, le lieu où l’on devait aller pour réaliser ses rêves, pour devenir riche, pour danser et s’amuser. Une ville qui avait poussé comme un champignon au milieu des collines au nord du lac Mono. Son sol regorgeait de pépites d’or ce qui attirait une population avide de prospecteurs, d’entrepreneurs, d’arnaqueurs et de prostitués. Cette ville n’est aujourd’hui plus que rues désertes, habitations en ruine et usines délabrées.
Son histoire a commencé par la découverte d’un gisement en 1859. Quelques années plus tard, la ville était déjà devenue le point focal de l’Ouest américain. Bodie a écrit une partie de la légende de la ruée vers l’or, avec ses tripots, ses règlements de compte au revolver, ses chérifs et ses croques-mort. Plusieurs de ses habitants hauts en couleur ont laissé leur trace dans l’histoire comme Madame Moustache ou Rosa May. Mais les mines se sont asséchées rapidement, poussant les prospecteurs vers d’autres villes plus prometteuses. Les milliers de bâtiments de bois construits en hâte pour héberger les habitants ont été laissés à l’abandon et la ville a commencé à rétrécir avant d’être quittée par ses derniers occupants dans les années 40. Elle est maintenant une « authentique ville fantôme de l’époque de la conquête de l’Ouest », décor de film de cowboys maintenue en l’état par les employés du site.
Après la Ville Fantôme, la Vallée de la Mort
Après le Yosemite et le Mono Lake, nous descendons vers le sud, vers Las Vegas. Notre route croise le fameux parc de la Vallée de la Mort. Le lieu porte ce nom depuis que de nombreux aventuriers et prospecteurs sont morts de soif et de fatigue dans ses étendues desséchées.
Le parc, au milieu du désert des Mojaves, regroupe à la fois le point le plus bas des Etats-Unis (Badwater) et le point le plus chaud du monde (Furnace Creek, avec un record de plus de 56°C). Le jour où nous passons dans ce four, la météo annonce une température de 51°C à l’ombre. Pas un record, mais de quoi nous assommer à chaque sortie de la voiture climatisée, baignés dans un soleil accablant. Du coup, notre visite des principaux centres d’intérêt est expéditive.
A Furnace Creek, nous ne restons que deux ou trois minutes hors de la voiture, juste le temps de nous avancer dans les dunes brûlantes et de prendre quelques photos. Nous rentrons bien vite dans notre véhicule, dégoulinants de sueur. Les arrêts suivants nous permettent d’admirer les couleurs des rochers et un magnifique point de vue sur la vallée (Dant’s View).
Savourer un bon désert
Les déserts ont un pouvoir étrange, celui d’étirer les routes et de ralentir le temps. Traverser un désert c’est s’engager sur de longues lignes droites de bitumes, des voies épurées, sans vagues, sans résistances, qui disparaissent dans l’horizon.
Pour qui sait regarder, les paysages ne sont jamais monotones. Ils ont une présence tenace et paisible, un caractère. Ils étaient là bien avant vous, bien avant l’homme, et n’ont guère bougé depuis. Ce sont eux qui vous regardent passer, créatures minuscules, et qui, en un instant, vous oublient.
Sortis des grandes agglomérations, on découvre un autre pays. Le mode de vie des Américains des campagnes n’est pas le même que ceux des villes. Les bâtiments s’étalent, s’espacent et rendent l’utilisation de la voiture obligatoire pour quoi que ce soit. Le soleil prend possession des espaces entre eux, chauffant le bitume, asséchant les buissons, ne laissant que pierre et poussière.
Nous campons quand nous le pouvons, les motels étant chers. Un soir nous posons notre tente sur un parking où nous ne pouvons pas planter les sardines. C’est évidemment vers ce moment que le vent se met à se déchaîner. Au milieu de la nuit, nous sommes réveillés par la toile de notre abri, qui, poussée par les bourrasques, nous bouscule et s’effondre brutalement sur nous. Nous trouvons refuge dans la voiture, après avoir bloqué la tente avec de grosses pierres pour éviter qu’elle ne s’envole complètement. Les joies du camping !
Les campements sont rarement occupés par des tentes. Les Américains leur préfèrent d’imposants camping-cars, de la taille d’un bus, avec tout le confort d’une maison sur roues. Certains se déplient pour offrir un balcon, d’autres tractent des 4×4, tous ont leur bannière étoilée flottant au vent. L’American Dream en mouvement. Leur nom officiel est « Recreational Vehicle ». Nous les appelons des « gros tas ».
A côté de ces géants si confortables, notre tente rachitique paraît être un accident de parcours.
Nous doublons Las Vegas vers l’Est pour aller admirer le Grand Canyon. Le site est impressionnant, d’une profondeur effrayante et s’étirant plus loin que nous ne pouvons voir.
La tentation dans le désert
Nous nous doutions bien que Las Vegas n’était pas pour nous. Et pourtant nous voulions voir de nos yeux ce lieu des extrêmes, du faux et du clinquant. C’est que la ville a sa légende, ses célébrités, ses révolutions, ses combats. De prairies fertiles (la signification de son nom espagnol) habitées par les Indiens Païutes, elle fut d’abord occupée par les mormons, puis envahie de tripots et de quartiers de prostitution, avant d’être conquise par des truands appâtés par l’argent des casinos, et enfin être transformée en ville de spectacles par des stars et des tycoons qui y ont construit les plus grands hôtels du monde.
A Las Vegas vous pouvez visiter Paris, Venise, New York et Le Caire en une journée. A Las Vegas vous pouvez voir Céline Dion, David Copperfield ou Maria Carrey, chacun à son spectacle. A Las Vegas vous pouvez croiser Batman, Wonder Woman et Jack du film Titanic. Chacun a sa machine à sous.
Des grands-mères américaines semblent hypnotisées par leurs machines à sous, les yeux perdus dans les cerises et les cloches qui défilent, appuyant sur le bouton « play » de façon mécanique pendant des heures, sans jamais décrocher le jackpot qui les délivrerait.
Tout y brille, tout vous appelle. Le spectacle est également dans les rues. Des groupes de jeunes hommes enivrés accompagnant un futur marié croisent des personnes costumées en Dark Vador ou en Playboy Bunnies. Des rabatteurs distribuent des flyers pour des boites de strip-teases à tous les hommes non accompagnés. Au-dessus de nos têtes, des panneaux lumineux immenses nous invitent à assister à diverses attractions. Le soir, nous assistons, amusés, à la danse des jets d’eau devant le Bellagio sur la chanson « My Heart Will Go On » de Céline Dion. Cette musique nous ne cessons de l’entendre dans chacun des pays que nous visitons. Sans que nous le voulions, elle est devenue la BO de notre voyage, réapparaissant sans cesse dans les lieux les plus incongrus.
Parfois Las Vegas semble assumer son statut de farce. Un spectacle intitulé « Puppetry of the penis » se produit chaque soir. L' »Eglise Unie du Bacon » propose de combattre la bigoterie de la culture américaine par l’absurde, en vous mariant sous le signe du bacon.
Finalement Vegas est un mirage dans le désert, la promesse d’un lieu de festin et de plaisir qui se révèle en fait aride et décevant.
Nous sommes contents de quitter la ville et de reprendre la route. Nous passons notre dernière nuit aux USA dans les collines à l’est de Los Angeles, où nous avons la chance d’apercevoir des loups. Nous prendrons le lendemain un vol pour Bogota, Colombie, notre première étape sud américaine.
La classe américaine
Décor de westerns spaghettis, de clips de musique pop, de road-movies aux héros assoiffés de libertés, de séries télévisées, de documentaires chocs, de livres d’aventures et de légendes, les paysages de l’Ouest américain sont un peu tout ça à la fois. Ils font partie d’un imaginaire mille fois mis en scène, décrit dans les moindres recoins, avec ses clichés et ses redites.
L’Amérique, on s’en fait tout un film, mais visiter les Etats-Unis c’est finalement comme de parcourir un voisinage familier.
C’était la première fois que
- nous essuyons une tempête sous la tente
- nous avons presque écrasé un cerf / élan / orignal / wapiti / Grosse Bête Avec Des Bois
Claude
Sa donne envie de voyager.