A notre descente du bus, nous sommes accueillis par des hommes aux grands manteaux sombres et aux faces brunies par l’altitude et le froid. Leurs cheveux longs tombent sur des cols de fourrure de yak. Ils semblent tout droit sortis d’un roman de Kessel. Nous ne les comprenons pas mais ils nous sourient avec leurs dents en or. L’air est plus frais et le ciel plus bleu. Nous sommes au Tibet.
Le Tibet est une province chinoise (Région Autonome du Tibet) contrôlée avec fermeté par le gouvernement. Mais c’est aussi une zone géographique deux fois plus grande que l’on pourrait appeler le Tibet historique. Ce territoire a été scindé par les Chinois et partagé dans différentes administrations territoriales. On peut donc avoir sa dose de Tibet en visitant certaines parties des provinces du Sichuan, du Yunnan, du Gansu et du Quinghai.
C’est ce que nous avons fait après quelques jours passés à Chengdu, la « ville des pandas ». Direction Kangding (Dartsendo en tibétain), notre porte d’entrée au Tibet.
Quand te reverrai-je pays merveilleux, où ceux qui s’aiment vivent à deux !
Kangding est une ville coincée dans une vallée encaissée dans le massif montagneux de Hengduan. Elle a toujours été un lieu de rencontre des cultures chinoises et tibétaines. Les Tibétains y échangeaient leurs chevaux contre des briques de thé apportées à dos d’homme de Chengdu. Les Chinois connaissent bien cette ville car elle a été rendue célèbre par une chanson d’amour à succès (Kangding Qing Ge). La nuit, la ville brille de mille feux grâce aux néons multicolores disposés sur tous les bâtiments. Les Chinois adorent.
Pour un visiteur occidental, la ville est surtout intéressante pour ses monastères et de magnifiques randonnées dans les montagnes environnantes. Malheureusement nos genoux ne sont pas vaillants en ce moment et nous préférons ne pas crapahuter dans la nature. Il nous reste donc les monastères.
Satan au Tibet
Nous avions visité le Temple des Lamas à Beijing mais cela ne nous avait rien appris sur le bouddhisme tibétain.
Nous sommes vraiment très surpris lorsque nous entrons dans le monastère Jīngāng. Chaque centimètre carré des murs du temple est recouvert de couleurs vives. Les peintures des Quatre Rois Célestes en gardent l’entrée. A côté sont représentés d’autres éléments du bouddhisme comme la Roue de La Vie et des mandalas.
De nombreux déités à l’apparence diabolique semblent menacer les visiteurs. Sur le côté du temple principal, un autre plus petit est particulièrement réservé à ce genre de divinités. L’entrée se cache derrière une tête de mort. L’intérieur est plongé dans la pénombre et quelques rares ampoules faméliques éclairent des statues de squelettes ou de démons. Certains piétinent des femmes et coupent des têtes tandis que d’autres portent carrément des peaux humaines comme parures.
C’est donc cela le bouddhisme ? On se croirait plutôt dans un repère de satanistes !
Nous apprendrons peu après que notre vision d’occidentaux nous joue encore des tours. Les représentations que nous voyons ne sont pas celles de dieux mais plus de concepts qui aident les moines à prier. Leur « colère » extrême est censée faciliter le détachement. Ce que nous appellerions des démons sont en fait des figures protectrices pour les bouddhistes tibétains.
Le Tibet, l’autre pays des lamas
Nous visitons d’autres monastères et temples. A notre arrivée au monastère Nanwu, un gong appelle les moines pour la prière. Ils se regroupent à l’entrée du temple principal. Deux moines placés de chaque côté soufflent dans des conques puis ils entonnent tous une étrange chanson, grave et lente. Nous sommes parmi eux, deux intrus au milieu d’une vingtaine de jeunes hommes vêtus de pourpre qui nous dévisagent. Soudainement les moines poussent en coeur plusieurs cris, les conques résonnent une dernière fois et ils entrent ensemble dans le temple.
Le temple Pǎomǎ domine la ville. Nous y jouissons d’une vue magnifique sur la vallée. Le chemin qui gravit la montagne est décoré de nombreux drapeaux de prière qui flottent au vent.
Litang, au coeur du Kham
Kangding n’est qu’une première étape dans notre découverte du Tibet. Nous reprenons le bus pour la petite ville de Litang, plus à l’ouest. Le véhicule est crasseux et le chauffeur, épuisé, pique du nez constamment.
Si Kangding était à moitié chinoise, Litang est à majorité tibétaine et son altitude (plus de 4000 mètres) en fait un point assez isolé. Nous commençons d’ailleurs à vraiment sentir les effets du mal des montagnes. Nous respirons plus difficilement. Notre voyage en Bolivie nous avait appris ce qu’il fallait faire dans ce cas : “Marcher lentement, manger léger et macher de la coca”. Pour la coca c’est raté mais le reste des recommandations est toujours valable.
Litang est bâtie sur un plateau herbeux où paissent tranquillement les yaks. Ses routes poussiéreuses lui donnent des allures de Far West. La ville est pauvre et n’a aucun charme. Personne n’a jamais écrit de chanson d’amour sur Litang. Cependant la campagne environnante est magnifique car encadrée de montagnes enneigées et tapissée d’herbe rase. La ville est réputée pour son festival équestre qui a lieu la première semaine d’aout et à l’occasion duquel se retrouvent des milliers de nomades tibétains. De nombreux restaurants diffusent en boucle des vidéos de cet évènement : défilé de chevaux, courses et compétitions de sports équestres.
A Litang, le spectacle est pour nous partout dans la rue. Les Tibétains y sont nombreux et portent des habits plus traditionnels qu’à Kangding. Les femmes ont de longs cheveux tressés qu’elles attachent avec de grosses broches. Les hommes enroulent leurs manteaux autour de leurs tailles et portent de grands chapeaux. Nous croisons également beaucoup de moines enveloppés dans leurs tenues rouge carmin et ocre. Ils roulent en scooter, prennent des taxis, jouent sur leurs iPhones, mangent dans les restaurants. Ils n’ont en fait pas une vie si retirée que nous le pensions.
La révolution des moulins à prière
On trouve des moulins à prières un peu partout dans la ville. Autour des temples, mais aussi sur le bas-côté des routes, sur les places, dans les recoins, etc. Le moulin à prière permet aux croyants d’avoir une productivité imbattable : on recite des mantras en faisant tourner un moulin à prière portatif dans une main, tout en lançant une dizaine de gros moulins à prière sur son chemin. Pour la prière c’est la quantité qui compte.
Le Báitǎ Gōngyuán, un grand chörten (stupa tibétain), est cerné par les cylindres dorés des moulins à prière que les fidèles font constamment tourner. Dans le temple à sa gauche, un énorme moulin à prière nécessite la force de plusieurs personnes pour bouger. Des discours du Dalaï Lama résonnent dans la pièce où les croyants tournent dans un ballet entêté en marmonnant. Dans leur ferveur de vieilles femmes n’hésitent pas à se prosterner jusqu’à être allongées face contre terre.
Le monastère de Gompa Chöde est un grand ensemble religieux situé au nord de la ville. De nombreux moines de tous les âges y vivent. Le monastère est un haut de lieu de la résistance tibétaine à l’occupation chinoise : il a été pilonné à coup de mortier par l’armée populaire en 1956 lors d’une révolte. Quand nous le visitons, il est en travaux : un incendie fin 2013 avait détruit une partie des bâtiments. Malgré cela, il reste impressionnant et offre une vue magnifique sur la vallée.
Nous continuons notre périple sur les terres tibétaines en prenant un minivan pour la mythique vallée de Shangri-la, au Yunnan. Sur le trajet, le chauffeur, très imprudent, manque de peu de percuter successivement une voiture, un camion et une vache. Mais cela est une autre histoire.
Amelie- Voyagista
Merci d’être passé sur mon blog… tes photos du Sichuan me donnent envie… c’est encore sur ma to do list, je ne suis allée que dans la partie tibétaine du Yunnan
Romain
L’ouest du Sichuan recèle de nombreux trésors. Par manque de temps nous n’avons pu qu’en effleurer la surface. Nous comptons y revenir un jour pour visiter Dege et Larung Gar.
Emeline
Bonjour Romain , merci pour ce superbe reportage et tes photos !! splendides..je trouve cela triste de voir cette culture tibetaine avalée , digérée par la « Grande Soeur Chinoise « ..j’ai eu la chance de rencontrer un Rinpoché tibétain au Népal et il me racontait que leur grand défi etait de garder leur culture vivante, de génération en génération, malgré leur terre envahie, malgré la dispora.. il avait comparé leur situation à celle du peuple juif.. pas bête la comparaison .. comment faire vivre sa culture quand les 3/4 de son peuple n’est pas dans son pays ? j’espère que les tibétains gardent le courage , la foi, en leur culture . très bon voyage !