Le Mont Emei, qui abrite de nombreux monastères isolés, était un haut lieu de retraite taoïste. Durant la dynastie des Han, les bouddhistes en ont progressivement prit possession.
Du haut de ses trois mille mètres, le Mont Emei est aujourd’hui la plus haute des quatre montagnes sacrées bouddhiques de l’Empire de Milieu. C’est le premier lieu où fut enseigné le bouddhisme sur le territoire de Chine, avant de rayonner dans tout l’Extrême Orient. C’est également ici que naquit le « Emei Kung Fu », un art martial chinois qui a été développé en imitant les mouvements des animaux, en particulier des singes.
Nous sommes en pleine période de vacances. A l’occasion de la fête nationale, tous les chinois bénéficient d’une semaine de congés: la Semaine d’Or. Imaginez un peu plus d’un milliard de chinois sur les routes au même moment ! Tous les hébergements sont pleins à craquer ! Les prix doublent, triplent même ! Autant dire, une « Semaine Noire » pour les voyageurs occidentaux à petit budget.
Effrayés, nous courrons nous réfugier au sein de la montagne sacrée, espérant trouver la sérénité et la quiétude dans les monastères retirés.
Des éléphants dans la brume
Le village de Baoguo est notre point de départ. Nous y laissons nos gros sacs à dos et ne prenons avec nous que le strict nécessaire. Après deux heures de bus sur les routes sinueuses, le chauffeur nous dépose à la station de Leidongping, prés du sommet de la montagne. L’air est humide et glacial. Nous enfilons rapidement nos pulls et nos imperméables. Le chemin qui mène au sommet est bordé d’échoppes de nourriture d’où émane une forte odeur de saucisses. Des commerçants louent des doudounes aux touristes mal équipés. Certains préfèrent s’emmitoufler dans des couettes.
Nous constatons sans grande surprise que l’atmosphère de calme n’est pas au rendez-vous. Les touristes sont beaucoup plus nombreux que nous ne l’espérions.
Un téléphérique nous emmène jusqu’au Sommet d’Or à travers un gros nuage épais. En haut d’un escalier trône la statue dorée d’une déesse à tête multiple, portée par trois éléphants. Il est également possible d’admirer, au bord du pic, la mer de nuages et la lumière de Bouddha, un anneau de lumière multicolore flottant à la surface des nuages (crée par un phénomène physique complexe). Mais le brouillard est si dense que nous voyons rien de tout cela, si ce n’est trois immenses éléphants dorés qui semblent flotter dans la brume comme d’énormes fantômes.
Pourtant, à chaque fois que le brouillard devient légèrement moins dense, nous entendons les touristes pousser des « oh » et des « ah » comme si nous assistions à une apparition divine.
Suite à ce bain de foule au sommet de la montagne, nous entamons une longue descente de plusieurs jours pour rejoindre à pied le village de Boaguo. Nous n’avons pas de contrainte de date et décidons de prendre notre temps. Quant à notre objectif de la journée, nous espérons rejoindre le Jiulijng Hillok pour y passer la nuit. D’après notre plan cela semble être un monastère bien situé.
Le chemin est uniquement constitué d’escaliers. Tandis que nous commençons notre descente, la brume se dissipe petit à petit, découvrant des falaises impressionnantes aux versants abruptes et des gorges magnifiques. Marche après marche, nous nous enfonçons dans la forêt verdoyante. Les touristes se font de plus en plus rares. Nous trouvons enfin un peu de calme et de solitude.
Un escalier très pentu nous conduit jusqu’à « l’Étang du Bain de l’Éléphant », un vaste monastère entourés de belles montagnes. Nous prenons à peine le temps de nous reposer, nous devons atteindre le Jiulijng Hillok avant la tombée de la nuit. Nous croisons quelques groupes de jeunes, recouverts de sueur, faisant courageusement le chemin en sens inverse.
Nous arrivons en début de soirée, épuisés par les milliers de marches que nous avons montés et descendus. Nous sommes un peu déçus : le Jiulijng Hillok n’est pas un monastère, il s’agit d’un stop pour les marcheurs, constitué de deux bâtiments faisant office de restaurants et d’hébergements. Les monastères les plus proches sont à une heure de marche nous dit-on. Le soleil ne va pas tarder à se coucher et nous jugeons plus raisonnable de passer la nuit ici. Le cadre est tout de même magnifique et nous sommes bien contents de pouvoir nous restaurer et nous reposer.
Nous pouvons même nous offrir une bière, à condition d’arriver à se faire comprendre : lorsque Romain commande une Tsingtao, le commerçant lui ramène avec un grand sourire…un haricot !
Nous dînons face aux montagnes, en admirant les feux d’artifices qui scintillent dans le ciel à l’occasion de la fête nationale.
Vivre au rythme des moines et combattre à la vitesse du Panda
Nous nous réveillons tardivement, prenons un bol de riz en guise de petit déjeuner, faisons deux ou trois étirements en admirant le paysage et nous voilà prêts à poursuivre notre « pèlerinage ».
Nous nous dirigeons vers le Monastère du Pic Magique, que nous avons choisi comme point de chute pour la nuit. Tandis que nous montons et descendons des milliers de marches au cœur de la forêt, nous rencontrons Lili, jeune chinoise très sympathique et son ami. Lili est enseignante en anglais. En tant que bon professeur, elle met beaucoup d’enthousiasme à nous apprendre des mots chinois tels que « sacs plastiques » ou « branche ». Mais mauvais élèves que nous sommes, nous ne retiendrons pas tout de la leçon.
Nous nous quittons au Monastère du Pic Magique, un vaste monastère en bois entouré de forêts.
Les marches, les murs et les sculptures, tout est recouvert de mousse, comme si la nature avait pris possession des lieux. Le monastère est composé de trois vieux bâtiments mais la plupart des touristes se contentent de ne visiter que le premier.
Alors que les marcheurs ne cessent d’affluer, nous entreprenons la visite des coins les plus reculés. Armés d’un petit bâton pour casser les toiles d’araignées, nous explorons les dortoirs, greniers et temples mal entretenus. L’atmosphère est paisible et reposante.
Profitant de la tranquillité, Sophie apprend les bases du taï-chi, suivant les conseils de Maître Romain.
« La légende parle d’un héros de légende dont la maîtrise du Kung Fu était carrément légendaire. » Pô dans KungFu Panda.
Nous sommes interrompus à dix huit heures par le retentissement du gong qui annonce le service du dîner. Nous essayons d’adopter le rythme de vie des moines et nous nous rendons donc au réfectoire. La salle est pleine à craquer de touristes et l’on s’entend à peine discuter. Nous avons l’impression d’être dans une cantine d’école.
A la tombé de la nuit, nous poursuivons notre apprentissage du taï-chi et cherchons les étoiles dans le ciel avant de rejoindre notre dortoir.
Une nuit dans le Palais Interdit
Il est à peine six heure du matin quand le gong retentit une fois, deux fois, trois fois, trop de fois pour pouvoir se rendormir.
Nous enfilons nos quatre couches de vêtements, faisons un brin de toilette et partons découvrir l’ouest du mont sacré. Voila deux jours que nous marchons dans des escaliers et nos jambes sont quelque peu flageolantes. Une journée difficile nous attend mais nos efforts ne serons pas vains.
« Hier est derrière, demain est un mystère mais aujourd’hui est un cadeau, c’est pourquoi on l’appelle le présent. » Maître Oogway dans Kung Fu Panda
Nous partons en direction du Pavillon Qingyin. Nous descendons péniblement les nombreuses marches qui serpentent dans une splendide forêt. Entourés par une végétation abondante, des cascades d’eau et des torrents, nous tentons d’oublier nos courbatures et d’apprécier ce cadeau de la nature.
Plus nous approchons du pavillon et plus la foule de touristes, équipés de leur gros appareils photo, est dense. La « zone des singes farceurs » est un véritable cirque. D’une part, des commerçants vendent des sachets de nourriture pour attirer les singes. D’autres part, des employés chassent les pauvres bêtes à coup de bâtons ou de lance-pierre lorsqu’ils sont trop proches.
Les touristes, agglutinés autour des singes, leur jettent de la nourriture et des bouteilles de soda en pleine nature. C’est scandaleux ! Ils se bousculent pour prendre des photos et hurlent au moindre mouvement des singes nullement effrayés par les hommes. Nous arrivons tant bien que mal à nous frayer un chemin pour atteindre le Pavillon Qingyin.
La pluie commence à tomber et la fatigue à se faire sentir. Le monastère Zongfen, à quelques milliers de marches du Pavillon Qingyin, nous semble parfait pour passer la nuit. Malheureusement le personnel n’est pas du même avis. Il ne parle pas anglais mais nous comprenons qu’il n’y a pas de chambre pour nous. Dans le monastère suivant, le temple Shenshui, même réponse. Les moines n’ont pas le droit d’accueillir des touristes étrangers. Ils nous proposent d’aller dans un des petits hôtels à proximité. La nuit ne va pas tarder à tomber. Nous sommes à bout de force, découragés et déçus à l’idée de passer une nuit dans un hôtel. Mais têtus comme nous sommes nous ne nous laissons pas abattre et tentons notre chance au Palais Chanyang.
Ce monastère est situé sur un pic et nous arrivons complètement exténués. Ici c’est encore la même réponse ! Fatiguée et trempée par la pluie, Sophie va se reposer sur un banc. Victor, un des résidents temporaires du monastère nous offre son aide en nous servant d’interprète. Il explique aux moines que nous marchons depuis plusieurs jours et que nous ne voulons pas interrompre notre « expérience » en logeant dans un hôtel. Les moines finissent par céder à condition que nous dormions dans des pièces séparées. Nous retrouvons rapidement notre énergie et un grand sourire.
Le monastère, entouré par de grands arbres, est simple, beau et très calme. Il est constitué de deux cours intérieures, l’une destinée aux visiteurs et l’autre à la vie privée des moines. Il est habité par des femmes moines, vêtues de tuniques jaunes et au crâne rasé. Nous avons du mal à les distinguer entre elles. Elles semblent suivre des règles très strictes. Sur les murs, des affiches nous invitent au silence. Il y règne une atmosphère sereine très particulière.
Alors que la nuit commence à tomber, les moines éteignent les bougies, les bâtons d’encens et les lumières. Malgré l’heure tardive, les cuisinières nous préparent à manger. Nous passons la soirée à discuter du taoïsme et du confusionnisme avec Victor et son ami journaliste puis gagnons chacun nos dortoirs.
Le lendemain matin, nous suivons l’exemple des moines : nous nous levons à l’aube et prenons un petit déjeuner simple au réfectoire. Nous profitons un peu de la sérénité du temple puis faisons nos adieux à nos amis et entamons la dernière partie de notre périple: une longue descente jusqu’au bas du Mont Emei. Nous prenons notre temps. Nous ne sommes pas pressés de quitter la montagne sacrée.
Parfois seuls, parfois au milieu de la foule agitée, parfois au cœur de la forêt, parfois désespérés, parfois et souvent très enthousiastes, nous avons vécu ce « pèlerinage » à travers des paysages exceptionnels comme une expérience unique.
Au bout de ces quatre journées d’effort, nous aurons finalement réussi à pénétrer dans un monastère isolé, « vivre » au rythme des moines et à goûter à la sérénité de leur mode de vie.
Avec quelques courbatures aux fessiers, nous partons maintenant découvrir d’autres merveilles dans les régions tibétaines. Des milliers de drapeaux de prière colorés, de somptueux monastères et pleins d’autres surprises nous y attendent ! A suivre dans notre prochain article.
- nous dormions dans des monastères
- nous montions autant de marches d’escalier
- quelqu’un nous apporte un haricot lorsque nous demandons une bière
Hong Kong ou la fin de l'Empire Britannique - The Plan
[…] avons un programme chargé : Guillin et ses pics karstiques, les villages tibétains au Sichuan, les monts sacrés qui ont vu la naissance du kung-fu, et les minorités du sud du […]
SANSONNE
merci ! vous donnez l’envie d’aller à la rencontre de ces lieux et personnes peu ordinaires. j’ai bien ri avec « c’est la première fois que quelqu’un nous apporte un haricot lorsque nous demandons une bière »!!