Quelle vie de Patagon !

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Nous embarquons à bord du ferry Evangelista à l’aube. Le soleil se lève sur les eaux au large de Puerto Montt, aux portes de la Patagonie chilienne. Excités par ce voyage dans les fjords des eaux australes, nous faisons rapidement le tour du bateau et prenons de nombreuses photos des paysages côtiers éclairés par le soleil matinal. Le ciel est d’un bleu profond, la mer lisse et paisible et l’air glacial. Nous nous sentons comme des explorateurs au début d’une nouvelle aventure.

Puerto Chacabuco

Quand les montagnes plongent dans la mer

Le bateau quitte le port, cap vers le sud. Nous courons à l’avant pour admirer l’horizon. Un cormoran solitaire est délicatement posé sur l’immense étendue d’eau. Au nord, les rayons du soleil levant percent les nuages cotonneux pour éclairer le flanc des collines verdoyantes qui s’éloignent ; à l’ouest, les montagnes imposantes de la cordillère de Patagonie semblent flotter sur une mer de nuages.

Des dauphins viennent interrompre notre contemplation en nageant près du navire. C’est la première fois que nous en voyons dans leur habitat naturel. La mer scintille comme un vaste tapis de paillettes argentées. Plus nous nous éloignons des terres, plus l’océan est mouvementé. Nous passons devant la grande île de Chiloé, réputée pour ses pêcheurs bourrus et ses maisons sur pilotis colorées. Malgré le froid nous avons du mal à quitter le pont et à détacher notre regard de ces splendides paysages.

La nuit, le ciel tangue au rythme du bateau et les étoiles dansent au-dessus de nos têtes. On n’y retrouve aucune de nos constellations de l’hémisphère nord. Au loin, les lumières intermittentes des phares nous appellent. Dans le carré les conducteurs de camions, habitués à ce voyage, passent le temps devant la télévision, loin de leurs femmes.

Ferry vers le sud de la Patagonie chilienne

Sur le ferry la nuit, en direction de Puerto Chacabuco

Chili con cache-nez

Avant de prendre le ferry, nous nous sommes arrêtés quelques jours à Santiago afin d’y trouver le matériel nécessaire à nos prochaines aventures : nous avons écumés les magasins de chinoiseries, les étals des vendeurs de rue, les armureries désuètes et un magasin de bricolage pour rassembler tente, casseroles, réchaud, tapis de sol, sac à dos et grosses chaussettes.

Nous sommes ensuite allés en bus jusqu’à Puerto Varas, en descendant sur 1 000 km la mythique route panaméricaine. C’est une petite ville charmante où les chiliens aiment venir en villégiature. Elle est posée sur les bords du lac Llanquihue en face du volcan Osorno, équivalent patagon du mont Fuji. Les maisons en bois, les églises aux toits rouges et les devantures aux décorations germaniques rappellent que la ville a été bâtie par des colons allemands en 1853. La fenêtre de notre auberge donne sur l’imposant bâtiment du “Deutscher verein” (“Club allemand”), sur le lac et au loin sur les cimes enneigées du volcan Osorno. Le weekend, la lagune est prise d’assaut par les petites voiles blanches du club nautique comme autant de papillons blancs.

Volcan Osorno vu de Puerto Varas

Musée de Pablo Fierro à Puerto Varas
Au musée de Pablo Fierro

Maison de bois à Puerto Varas

Beurre et fromages à Puerto Montt

Otaries à Puerto Montt, Chili

Guirlandes de moules à Puerto Montt
Guirlandes de moules

Les grottes d’eau et de marbre

L’Evangelista nous dépose à Puerto Chacabuco, d’où nous poursuivons notre voyage jusqu’à Puerto Rio Tranquilo, un village qui porte bien son nom. La Patagonie chilienne recèle des trésors cachés comme les grottes de marbre de Rio Tranquilo. Lentement érodées et polies par les eaux et les glaces pendant des milliers d’années, les roches de marbre présentent aujourd’hui d’étranges cavités.

Situées dans l’un des plus grands lacs d’Amérique du Sud, partagé entre le Chili et l’Argentine, et entourés des falaises abruptes, ces grottes sont inaccessibles par voie terrestre. Derrière les monts entourant le lac se cache une étendue de glace quasi-inabordable qui s’étend sur 350 kilomètres, le “Champ de glace nord”.

L’un des pêcheurs du port, qui balade aujourd’hui des touristes, nous fait traverser le lac dans sa barque à moteur et nous amène jusqu’aux grottes, véritables cathédrales de marbre posées sur une eau cristalline.

Grottes de marbres, Patagonie chilienne

Grottes de marbres, Puerto Rio Tranquillo, Chili

Le mont Fitz Roy

Poussés par le vent de l’aventure, nous achetons des billets de bus pour l’Argentine dans un magasin de pêche. A la frontière, nous sommes surpris de voir sur les cartes géographiques que les Argentins placent les Malouines dans le pays. Nous traversons la pampa argentine et ses larges étendues de prairies sèches pour atteindre El Chaltén, ville auto-proclamée “la capitale des trekkeurs”. C’est le point de départ de nombreuses randonnées dans le Parc des Glaciers.
Nous installons notre tente dans le camping “El Refugio” de Domingo Diaz. Le visage buriné, la clope au bec, coiffé d’un béret et vêtu d’une salopette, il ressemble à un vrai gaucho. Il est très sympathique mais chon fort accent nous empêche parchois de le chomprendre.

Notre premier défi est d’arriver au lac « De los tres » d’où nous pourrons admirer le mont Fitz Roy, énorme bloc de granite sculpté par des vents violents. Nous marchons en direction du Lago de los Tres, à travers des sentiers fleuris, appréciant la douce brise printanière qui nous caresse les joues. Au loin les montagnes enneigées resplendissent sous un soleil radieux. En contrebas, le Rio Vuelos, « la rivière tournante », d’un bleu laiteux, serpente paisiblement dans la vallée. Au détour d’un chemin, un magnifique paysage s’offre soudain à nous : le Fitz Roy, fier et imposant, énorme dent acérée plantée dans le ciel.

Le Fitz Roy dans le parc de Los Glaciares

Un Guanaco dans le parc de Los Glaciares, Argentine

Nous poursuivons notre chemin, la montagne toujours en vue. A sa droite nous apercevons un glacier. Jamais nous n’en avions vu de si près ! Plus nous nous approchons des montagnes, plus elles semblent immenses et plus je me sens rapetisser. Nous attaquons maintenant la partie difficile de la randonnée. Voilà déjà plusieurs heures que nous marchons. Nous commençons à prendre de l’altitude, affrontant courageusement les fortes rafales de vent qui nous déstabilisent. Nous atteignons les neiges éternelles, d’une blancheur magnifique qui forme comme des nappes de cristal.

Entre les pointes des monts Mermoz, Guillaumet et Saint-Exupéry, le Fitz Roy se dresse dans toute sa splendeur : immense, élégant, simple. Les pics qui l’entourent portent le nom des aviateurs français en hommage à l’épopée de l’Aéropostale en Argentine. Plusieurs explorateurs ont laissés leur vie en affrontant les conditions météorologiques extrêmes de la région. Les sommets sont pris au piège par des nuages d’un blanc immaculé. Au pied des montagnes le lac de « Los Tres » a gelé. Une atmosphère mystique se dégage de ce lieu.

Les montagnes autour du Fitz Roy

Le lac gelé aux pieds du Fitz Roy
Les jours suivant, le temps se dégrade et le vent souffle de plus en plus fort. Les prévisions météo annoncent de violentes rafales. Les randonnées sont fortement déconseillées. Se rendre au supermarché qui se trouve à une cinquantaine de mètres relève de l’expédition : emmitouflés dans nos manteaux, nous faisons face à des vents furieux et à une pluie glaciale qui nous cingle le visage. Nous patientons plusieurs jours, espérant en vain un temps plus clément pour pouvoir essayer d’autres randonnées. En vain. Les nuits en camping sont difficiles. Chaque jour, nous déplaçons notre minuscule tente pour nous mettre un peu plus à l’abri des vents puissants et du froid perçant. Pas de chance pour nous, Domingo réserve les meilleurs emplacements à son cheval, plus important à ses yeux que ses clients.

Ballade sur le glacier Perito Moreno

Quelques jours plus tard, nous reprenons un bus et roulons pendant des heures à travers la pampa patagonienne pour rejoindre la ville de El Calafate. La Patagonie est l’une des régions les moins peuplées du monde et les distances entre les villes sont grandes. Le paysage est monotone. Il n’y a pas un seul arbre, seulement quelques arbustes épineux et des herbes sèches. Seuls de petits groupes de guanacos  égaient ces étendues austères.

La ville de El Calafate est bien plus grande et plus touristique que El Chaltén. C’est une autre porte d’entrée pour des excursions dans le Parc national des Glaciers. Nous courrons prendre deux billets de bus pour aller voir le Perito Moreno, un magnifique glacier d’une hauteur de 50 mètres et qui s’étend sur 14 kilomètres.

Le mur de glace du glacier Perito Moreno
Près du glacier, les kilomètres n’ont pas de sens : pour nous le Perito Moreno pourrait s’étendre jusqu’à l’infini. Nous avons l’étrange impression d’avoir atteint les limites de la Terre, que rien ne peut exister derrière cette mer de glace, sinon un énorme gouffre. Nous nous sentons ridiculement petits, insignifiants.

Le Perito Moreno sépare le lac Argentino en deux et fait partie des rares glaciers dont la taille ne se réduit pas au fil des ans. En tendant l’oreille, nous entendons des grondements sourds, c’est le glacier qui se meut et se brise. Il avance de deux mètres par jour. A travers le sifflement du vent glacial, un énorme bruit de tonnerre vient interrompre notre contemplation. C’est un pan du mur de glace qui s’effondre dans le lac, faisant jaillir l’eau à plusieurs dizaines de mètres.

Nous prenons un bateau pour traverser le lac et rejoindre le glacier par la gauche. Quelques icebergs flottent autour de nous. Nous attachons des crampons en acier sur nos chaussures et faisons nos premiers pas sur la glace, à la suite d’un guide. Nous avançons d’un pas lent et maladroit, écoutant le craquement de la glace sous nos pieds. Oubliant presque le froid et la neige, nous admirons les eaux pures prisonnières des immenses crevasses. Elles forment un dégradé de couleur allant d’un bleu foncé intense au turquoise. Et dans ce lieu, où tout semble hostile à la vie, nous sommes surpris d’apprendre que résident quelques insectes endémiques. Quelle étrange sensation de se sentir si petit, si désorienté, si loin…

Le Perito Moreno et la brume qui cache la mer de glace derrière

Une forêt de pics et de crevasses de glace

Randonnée au bout du monde dans le parc de Torres del Paine

L'arrivée dans le parc et la vue sur les Cuernos del Paine

Nous descendons encore plus au sud, jusqu’à la ville de Puerto Natales, proche du parc de Torres del Paine. Nous sommes accueillis chez une mamie sympathique, qui chaque matin nous prépare de délicieux petits déjeuners.

Au Base Camp Pub, un des seuls bars de la ville, les randonneurs sont venus en nombre pour assister à la réunion d’information concernant la randonnée dans le parc de Torres del Paine. Le parcours typique s’étend sur quatre ou cinq jours et peut se faire en autonomie, c’est à dire en portant sa nourriture en plus de sa tente et son matériel. Nous avons l’impression de nous préparer à une mission périlleuse. Nous louons de chauds duvets et faisons quelques courses rapidement : pâté, tortillas et cookies seront nos principales vivres. Nous essayons de ne prendre que le strict nécessaire car il faudra tout porter sur nos dos pendant plusieurs jours.

Nous rejoignons d’abord le parc en car puis embarquons avec de nombreux autres randonneurs dans un catamaran qui nous amène au camp de départ. Dans le lac que nous traversons, d’un bleu laiteux, trainent quelques icebergs. Il fait un froid glacial et le vent prend un malin plaisir à arracher nos bonnets. Le paysage montagneux, d’une beauté incroyable nous donne un aperçu de ce que nous allons découvrir durant ces cinq journées de randonnée.

Nous mangeons une tortilla au pâté et nous nous enfonçons dans le parc. Les paysages sont très diversifiés. Nous empruntons des sentiers de terre dans une nature exaltante, bordée parfois de grosses fleurs rouges, parfois de petites fleurs bicolores qu’on ne trouve qu’en Patagonie.

Nous longeons des lacs magnifiques, grimpons des montagnes enneigées, escaladons des rochers. Nous ne cessons de nous émerveiller. Nous sommes également surpris par la météo : une heure suffit parfois à ce qu’une petite brise printanière se transforme en une tempête glaciale. Sur le lac, les rafales de vent se livrent à une féroce compétition de vitesse. Quand elles arrivent sur nous, nous sommes obligés de nous arrêter et de nous asseoir pour ne pas tomber à la renverse.

Vent dans le parc Torres del Paine

Un des magnifiques lacs du parc Torres del Paine

Gaucho dans le parc

Cuernos del Paine


Régulièrement, nous nous arrêtons pour admirer les paysages, espionner les renards ou les piverts peu farouches, ou remplir nos bouteilles de l’eau pure des rivières, mais aussi pour poser nos sacs à dos de plusieurs kilos ou nous revigorer avec quelques cookies. Chaque jour est un nouveau défi physique. Nous ne sommes pas très sportifs et le poids des sacs se fait très fortement sentir sur les épaules. Le soir, nous arrivons épuisés dans les campements. L’inconfort de notre minuscule tente ne nous empêche pas de dormir comme des bûches.

Renard dans le parc Torres del Paine

Pivert dans le parc Torres del Paine

Le dernier jour, nous nous levons à quatre heures du matin pour aller voir au lever de soleil « Las Torres », les fameuses tours granitiques qui ont données leur nom au parc. Nous nous habillons chaudement et munis de nos lampes frontales, grimpons jusqu’au point de vue. Seules les cimes enneigées se détachent du décor encore sombre. Progressivement le ciel prend des teintes jaunes, oranges. Les pointes rocheuses deviennent roses. Nous nous installons sur une crête pour admirer les sommets acérés des “Torres” qui , éclairés par les premiers rayon de soleil, défient le ciel. Les zébrures des montagnes se reflètent étrangement dans le lac en contrebas. Par défi, deux randonneurs chinois se déshabillent et se jettent dans l’eau glacée. Ils en ressortent très vite après moult cris de douleurs et jurons.

Pics des Torres del Paine, Chili

Torres del Paine, Patagonie, Chili
Nous rentrons à Puertos Natales le soir de Thanksgiving, où un magnifique buffet nous attend au Base Camp Pub . Qu’il est bon de boire du vin, de bien manger, puis de prendre une douche chaude et de s’endormir dans un bon lit douillet !

Les  manchots à portée de main

Il n’est pas pensable pour nous de quitter la Patagonie sans avoir salué les manchots. Nous descendons donc encore plus au sud, jusqu’à Punta Arenas, une vrai ville du bout du monde.

En face de la ville, l’île de Magdalena abrite une colonie d’environ cent vingt milles manchots. Nous partons à leur rencontre sur un ferry. Pendant une courte traversée de deux heures, nous naviguons sur les eaux du détroit de Magellan . Une douzaine de baleines accompagnent notre bateau, bondissant joyeusement au milieu des grosses vagues.
Sur l’île, des milliers de manchots peu farouches, se promènent, se grattent ou se reposent à moitié cachés dans leurs terriers. Leur démarche pataude est très drôle, surtout lorsqu’ils prennent de la vitesse.
L’île n’ayant pas de végétation, on peut voir que toute sa surface est criblée de dizaines de milliers de trous creusés par les oiseaux venus y pondre. Les visiteurs humains doivent suivre un chemin particulier pour ne pas les troubler.

Manchot sur l'île Magdalena, Patagonie chilienne

Couple de manchots sur l'île Magdalena, Patagonie chilienne

Par la suite, par manque de transports, nous restons coincés plusieurs jours à Punta Arenas. Seulement deux bus par semaines remontent jusqu’à Puerto Montt puis Santiago. Cela nous permet de prendre le temps d’aller au cinéma et de voir une exposition illustrant la vie des natifs de la Patagonie, l’expédition de Magellan et le mythe des “géants patagons”, ces autochtones des terres de feu, massacrés comme des animaux par les colons.

Avec Punta Arenas, nous atteignons le point le plus au sud de notre voyage. Nous avions un moment caressé le rêve de monter dans un bateau jusqu’en Antarctique, mais nous avons été vite calmés par le prix des billets. Nous préférons remonter à Santiago et nous envoler vers ce petit bout de Chili isolé dans le Pacifique : l’Île de Pâques. Nous garderons de la Patagonie un goût pour les treks dans la nature sauvage, de magnifiques panoramas plein la tête et par dessus tout, cette étrange sensation d’avoir atteint les confins de la terre.

Le glacier Grey dans le parc Torres del Paine
Le glacier Grey dans le parc Torres del Paine
C’était la première fois que :

  • nous voyions des fjords et des icebergs
  • nous traversions le tropique du capricorne
  • nous marchions sur un glacier
  • nous faisions une randonnée en autonomie
  • nous voyions des baleines et des manchots, un renard et des piverts
  • nous restions coincés 3 jours dans une ville par manque de transport
  • nous naviguions dans le détroit de Magellan
  • nous fêtions Thanksgiving
  • nous goutions au maté
  • Sophie passe la nuit sur un bateau

4 Responses

    • Romain

      Merci Carol-Ann.
      Nous n’avons pas beaucoup de mérite. Les paysages de Patagonie sont tellement superbes que les belles photos se font toutes seules.

  1. Carine

    Excellent !
    Les photos sont magnifiques et encore plus que d’habitude, votre reportage nous fait rêver…
    Une nouvelle question me taraude : à quand le livre ?!
    Seguís el buen trabajo !

    • Romain

      Merci Carine !
      Pas de livre de prévu, le blog est un format qui nous convient bien.

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